Le terme « ellagitanins » vous dit peut-être quelque chose si vous avez des connaissances en œnologie. Cette famille de composés est en effet caractéristique des vins élevés en barrique. Plus largement, ces polyphénols sont très présents dans les fruits et les oléagineux et, à la lumière des résultats de recherche scientifique, leur consommation serait particulièrement intéressante pour booster notre capital santé.
Quels sont les caractéristiques de ces polyphénols ? Où en trouve-t-on et quels sont leurs bénéfices santé ? Les ellagitanins n’auront plus de secret pour vous.
Les ellagitanins, des polyphénols à la structure chimique complexe
Les ellagitanins, également appelés tanins ellagiques, sont des polyphénols appartenant à la grande famille des tanins et plus précisément des tanins hydrolysables. Parmi les tanins, le groupe des ellagitanins est en effet caractérisé par la capacité des molécules à libérer de l’acide ellagique après hydrolyse. Le groupe ainsi formé est le plus important parmi les sous-groupes de tanins : il compte plus de 500 composés.
Pour en savoir plus sur la famille des polyphénols, consultez notre dossier :
Les ellagitanins ont des structures chimiques très complexes à l’origine leur haut poids moléculaire. De façon générale, un ellagitanin est formé d’un sucre, souvent du glucose, lié à des acides galliques et des dérivés d’acide gallique, comme par exemple :
La structure d’un ellagitanin peut être de nature encore plus complexe sous la forme d’oligomères (plusieurs unités monomériques d’ellagitanins).
EXEMPLE
La punicalagine est un ellagitanin composé d’un glucose et de :
Les différentes unités formant un ellagitanin (acide gallique, HHDP, etc.) sont liées au sucre grâce à des liaisons ester. Ce type de lien est assez instable en conditions physiologiques ce qui permet de libérer très facilement ces unités, qui peuvent alors être métabolisées pour être plus facilement absorbées.
Ainsi, après hydrolyse des liaisons ester, un ellagitanin peut libérer soit directement de l’acide ellagique, soit un autre dérivé d’acide gallique, comme l’HHDP, qui pourra se réarranger spontanément en acide ellagique. C’est cette capacité à libérer de l’acide ellagique, directement ou indirectement, qui classe automatiquement la molécule au sein du groupe des ellagitanins.
POUR ALLER PLUS LOIN
L’HHDP peut se réarranger spontanément en acide ellagique, plus stable, via une réaction de lactonisation. Il s’agit d’une réaction chimique permettant de former une lactone à partir d’un acide et d’un alcool.
EN RÉSUMÉ :
Les ellagitanins étant complexes et instables, c’est souvent l’acide ellagique qui est dosé pour déterminer la présence de tanins hydrolysables dans les aliments ou pour mesurer la biodisponibilité des ellagitanins alimentaires dans l’organisme.
Métabolisme des ellagitanins : une question de pH et de bactéries
Les ellagitanins sont des complexes beaucoup trop gros pour être absorbés tel quel et passer la barrière intestinale. Ils doivent donc être métabolisés avant d’être absorbés. Une fois ingérés, ils vont ainsi subir de nombreuses modifications dans le tractus gastro-intestinal menant à des métabolites plus facilement assimilables.
Des études in vitro ont montré que les ellagitanins sont stables en milieu acide gastrique (pH 1,8-2) ainsi qu’en présence des enzymes digestives de l’estomac. S’il est possible de trouver de l’acide ellagique dans cette portion du tractus gastro-intestinal, c’est parce que de nombreux fruits et légumes contiennent également l’acide ellagique sous forme libre. Celui-ci est assimilable au niveau de l’estomac. Par contre, on n’observe pas de signes de métabolisation des ellagitanins à ce niveau.
Les conditions optimales d’hydrolyse des ellagitanins se situent à un pH neutre ou légèrement basique. Dans les intestins, le pH est plus élevé (pH 7,1-8,4) et donc plus adapté à l’hydrolyse des ellagitanins. De par la structure complexe des ellagitanins, les liaisons ester s’hydrolysent lentement, ce qui entraîne une sécrétion gastro-intestinale prolongée d’acide ellagique.
L’acide ellagique est ensuite métabolisé au niveau de l’intestin grêle et du colon en urolithines. Ce sont les bactéries du microbiote intestinal (naturellement présentes dans les intestins) qui digèrent l’acide ellagique pour former progressivement les dérivés d’urolithines, et tout particulièrement les urolithines A et B, en bout de chaîne.
Cette chaîne métabolique des ellagitanins conduit à la formation de métabolites de plus en plus lipophiles et ainsi de plus en plus assimilables. Les urolithines ainsi formées sont ensuite incorporées dans la circulation sanguine pour atteindre les organes cibles.
La métabolisation des ellagitanins, indispensable pour leur assimilation, dépend donc en grande partie du microbiote intestinal. Or celui-ci, à l’instar des empreintes digitales, est propre à chaque individu : il est unique sur le plan qualitatif et quantitatif. La bioassimilation des ellagitanins est donc différente selon les individus, on dit qu’elle est individu dépendante.
Par ailleurs, étant donnée l’implication du microbiote intestinale dans leur métabolisation, il semble tout naturel d’imaginer que les ellagitanins ont une action prébiotique et stimulatrice de la croissance des bactéries intestinales.
Sources alimentaires et occurrence naturelle[1]
Les ellagitanins sont naturellement présents dans de nombreux fruits et oléagineux. Ils sont abondants dans certaines baies (en particulier les framboises, les mûres, les groseilles et les fraises), ainsi que dans les noix, les pistaches, les noix de cajou, les châtaignes et les noix de pécan.
Les grenades et les raisins sont exceptionnellement riches en ellagitanins.
Les vins vieillis dans des fûts en bois, notamment en chêne, sont également riches en ellagitanins. Ceci est dû à la migration des ellagitanins présents naturellement dans le bois.
Notons également que l’acide acide ellagique est également présent sous forme libre dans de nombreux fruits.
Bienfaits et vertus santé des ellagitanins
Comme beaucoup de polyphénols, les ellagitanins et leurs métabolites agissent à différents niveaux ce qui leur confère une large gamme d’activités biologiques. Les ellagitanins sont ainsi bien connus pour exercer des effets bénéfiques sur la santé humaine. Ce sont notamment de supers antioxydants ainsi que de bons prébiotiques.
Propriétés antioxydantes des ellagitanins[2]
Les ellagitanins ont des structures chimiques favorables pour exercer des propriétés antioxydantes. Riches en fonctions hydroxyles (OH), les ellagitanins ont en effet la capacité de donner des atomes d’hydrogène pour piéger efficacement les espèces réactives de l’oxygène (EROs). L’efficacité antioxydante des ellagitanins est ainsi directement corrélée à leur degré d’hydroxylation : plus la molécule possède de fonctions OH, plus elle sera un antioxydant efficace. Or, comme nous avons pu le constater précédemment, les métabolites des ellagitanins perdent progressivement des fonctions hydroxyles. Ainsi, l’urolithine A présente une activité antioxydante 10 fois inférieure à celle des punicalagines[3].
Les ellagitanins étant rapidement métabolisés en urolithines, il est donc tout naturel d’imaginer que les ellagitanins n’exercent pas d’activités antioxydantes dans l’organisme. Ce n’est cependant pas tout à fait correct, d’une part car les métabolites, comme les urolithines, certes moins antioxydantes que les ellagitanins d’origine, possèdent quand même une activité antioxydante, qu’ils exercent sur différentes cibles après absorption intestinale.
D’autre part, les ellagitanins exercent leur super pouvoir antioxydant en local au niveau du système digestif, avant d’être métabolisés. Il est bon de rappeler que le système gastro-intestinal est particulièrement affecté par les dommages oxydatifs liés aux EROs. Les ellagitanins, avant métabolisation, sont donc extrêmement utiles au sein du système digestif afin de piéger les radicaux libres et rééquilibrer ainsi la balance rédox (équilibre entre prooxydants et antioxydants).
Ellagitanins et microbiote intestinal
La nature des aliments que nous absorbons influence fortement le microbiote intestinal en favorisant la croissance, ou à l’inverse l’épuisement, de bactéries bénéfiques. Les polyphénols sont des actifs bien connus pour contribuer positivement à l’enrichissement bactérien de la flore intestinale. Des recherches utilisant des isolats bactériens ont notamment montré que la grenade et les punicalagines pourraient contribuer à inhiber la croissance de bactéries néfastes (Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa…)[4]. De plus, la prise de grenade pourrait favoriser la multiplication de bactéries microbiotiques comme les lactobacilles et les bifidobactéries[5].
Références
[1] Lipińska, L.; Klewicka, E.; Sójka, M. The Structure, Occurrence and Biological Activity of Ellagitannins: A General Review. Acta Sci. Pol. Technol. Aliment. 2014, 13 (3), 289–299.
[2] Landete, J. M. Ellagitannins, Ellagic Acid and Their Derived Metabolites: A Review about Source, Metabolism, Functions and Health. Food Res. Int. 2011, 44 (5), 1150–1160.
[3] Bialonska, D.; Kasimsetty, S. G.; Khan, S. I.; Ferreira, D. Urolithins, Intestinal Microbial Metabolites of Pomegranate Ellagitannins, Exhibit Potent Antioxidant Activity in a Cell-Based Assay. J. Agric. Food Chem. 2009, 57 (21), 10181–10186.
[4] Reddy, M.; Gupta, S.; Jacob, M.; Khan, S.; Ferreira, D. Antioxidant, Antimalarial and Antimicrobial Activities of Tannin-Rich Fractions, Ellagitannins and Phenolic Acids from Punica Granatum L. Planta Med. 2007, 73 (5), 461–467.
[5] Bialonska, D.; Kasimsetty, S. G.; Schrader, K. K.; Ferreira, D. The Effect of Pomegranate ( Punica Granatum L.) Byproducts and Ellagitannins on the Growth of Human Gut Bacteria. J. Agric. Food Chem. 2009, 57 (18), 8344–8349.